roman

Le Livre de poche

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29 août 2010

Albanie. Vous ne viendrez chez nous que par hasard

L’Albanie, son histoire, ses plages, sa gastronomie. Un graphiste végétarien hypocondriaque en a assez de la société de consommation et se décide à empoigner sa propre révolution.

Direction, un pays lointain avec son copain Chris, avocat de métier. Le hasard les mène en Albanie où les deux pays mènent pas large, leurs yeux ébaubis par les richesses de ce pays. Si Philippe Ségur montrait toute l’étendue de son talent d’écrivain en dévoilant le mode d’emploi dans Ecrivain en dix leçons, force est de constater que son aventurier ne vaut pas Bob Morane, coincé entre un esprit d’aventure qui n’est pas le sien et un humour toujours féroce, salvateur et roboratif. L’Albanie n’est pas la Hollande mais elle vaut bien un fromage. Pouf, pouf.

Indice. Attention ce qui a précédé révèle une partie de l’histoire. Dans son livre, Philippe Ségur fait parler espagnol à un italien qui ne comprend que l’albanais. L’esperanto a du bon. Il utilise également à plusieurs reprises le mot Byrek. Et on rigole bien. Mais, sauf erreur de ma part, il ne donne pas la signification du mot dans son roman. La voici : Le byrek est un plat traditionnel albanais, autrement appelé lakror. Le burek est un sorte de tourte à plusieurs étages, un peu la tour de l’horloge de Tirana gastronomique. On verra dans le film ci-dessous tout l’intérêt de la visite de l’Albanie, qui est quand même la Roumanie en pire mais la Moldavie en mieux, et qu’il me tarde de découvrir.

12,40
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29 août 2010

Un livre, un vrai

Cher Tom,

Je me souviens très bien de vous. C’était à Pékin à l’été 2008. Dans le chantier de l’immeuble d’à côté de l’hôtel où je logeais travaillaient quelques pékinois jusqu’à des heures indues dormant sur leur lieu de travail sur des lits superposés.

Eux aussi formaient une équipe. Pas la même que celle que vous évoquiez dans une version romancée de la conquête spatiale américaine dont vous aviez tiré le livre l’Etoffe des héros, un pur moment de bonheur, une anthologie de ce que doit être la littérature : une bonne histoire servi par un style haletant. C’est la ma vision et je la partage. L’inconvénient de vos livres est qu’il dépasse ou frôle souvent les 1.000 pages et ce en un seul tome Tom.

« Il m’emmène au bout de la nuit »

Cela permet de prolonger le plaisir jusqu’au bout de la nuit et laisse place le matin à des yeux cernés certes mais heureux. Si bien que depuis j’ai acquis Un homme, un vrai et Moi, Charlotte Simmons. Si le second trône encore dans la pile de livres que je me fais fort de lire un jour, Un homme, un vrai, vient de passer dans les rangs de ma bibliothèque. L’histoire raconte les tourments de Charlie Croker dans sa ville d’Atlanta (Georgie, Coca-Cola, CNN, d’anciens bouseux devenus riches). L’homme est promoteur immobilier. Son entreprise subit de plein fouet le retournement de conjoncture du coin. Face à ses traites impayées, sa banque, à qui il doit plusieurs centaines de millions de dollars, lui demande de rembourser ses prêts. En échange d’un salut de dernière minute, le maire d’Atlanta lui propose un accord bancal : son soutien à un joueur noir de l’équipe de football américain de l’une des universités de la ville accusé du viol de la fille de l’un des amis de Croker contre un rééchelonnement de sa dette. Accepter ou ne pas accepter ? Perdre son âme ou son ami ? La vie pose parfois des questions existentielles à ceux pour qui la philosophie s’arrête aux portes des troquets. C’est en découvrant les stoïciens (je ne vous dis pas comment, lisez les 1.000 pages, non mais) qu’il s’aperçoit de la logique de la réponse qu’il doit apporter. L’histoire n’est pas un roman financier, même si la trame de fond mêle à la fois politique et économie, mais campe des personnages hauts en couleur face à l’angoisse de la perception sociale face à un pire qui n’est jamais certain.

On vous qualifie parfois de dandy de la littérature américaine, ceint dans vos costumes immaculés. Ce serait oublier l’ensemble du talent de raconteur qui est le vôtre. L’homme est peut être un loup pour l’homme, pour la littérature on a Wolfe, et c’est pas mal non plus.

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29 août 2010

Les nombres vont par paires

D’habitude la littérature italienne contemporaine, se lit la tête dans le gazon, les mains en l’air et le chapeau Palerme vissé sur la tête. Il n’en est rien dans le premier roman de Paolo Giordano, la solitude des nombres premiers. Alice et Mattia sont touchés par les incidents de la vie.

La première chute lors d’une descente en ski, poussée, au sens figuré par l’ambition par contumace de son père. Mattia abandonne sa sœur jumelle, handicapée mentale, dans un parc pour se rendre à une soirée, et ne la retrouve pas à son retour. Ils se rencontrent fortuitement pour ne plus jamais se quitter malgré leurs absences, malgré l’éloignement.
Les 342 pages de l’édition poche se lisent presque d’une seule traite, la vache. Au long d’une histoire simple, renforcée par une écriture fluide, Paolo Giordano nous attache à ses personnages et à leur humanité. C’est le signe des belles histoires et des bons romans. Par cette livraison, Giordano met aussi un terme à l’idée que la littérature se déguste comme une pizza en fourrant tout à l’intérieur, mais plutôt al dente.
Doctorant en physique théorique, Giordano utilise les nombres premiers dans l’intrigue de son roman. Mattia, surdoué des mathématiques, s’amuse à son bureau à calculer la suite des nombres premiers, qui ne sont divisibles que par 1 et par eux-mêmes. 1,3, 5, 7, 11… avec de temps à autre des jumeaux, simplement séparés par un chiffre pair comme 5 et 7. Ce n’est pas la première fois que des romanciers sont fascinés par ces nombres. Dans le bizarre incident du chien pendant la nuit, Mark Haddon reprend ces nombres pour en faire les numéros des chapitres de son livre. Comme quoi des chiffres peuvent naître de belles lettres.

Roman graphique

Vuibert

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29 août 2010

Logicomix, ou quand la logique et les mathématiques permettent de comprendre le monde

Longtemps, le monde de la bande-dessinée a été réservée, par la bienpensance, au monde des enfants. Les illustrés, par leur simplicité, ne pouvaient être que l’apanage des jeunes générations. A notre époque, ce n’est plus le cas.

Les adolescents qui lisaient Tintin ou Astérix ont grandi et sont, pour certains, devenus des passionnés. En parallèle, la qualité des œuvres, du point de vue du dessin et du scénario, a grandi en se complexifiant. C’est ce que narre avec grand talent Scott Mc Goudl dans plusieurs ouvrages, que l’on peut aisément qualifier de manuels, tant leur apport intellectuel à l’appréhension de la bande-dessinée est réel.
C’est ce pari de jouer du dessin et l’art scénaristique propre à la BD que quatre auteurs grecs, Apostolos Doxiadis, Christos H. Papadimitriou, Alecos Papadatos et Annie Di Donna, ont utilisé pour mettre en scène leur histoire des fondements de la logique, sous le titre de Logicomix. Le livre a paru chez Vuibert.
Ils y racontent l’histoire de Bertie Russel, un grand mathématicien, qui tient une conférence aux Etats-Unis, alors que, déjà et encore, l’Europe se déchire dans une guerre fratricide. Alors qu’il se présente devant l’amphithéâtre qui va l’accueillir, il est happé par des manifestants qui lui demandent de se joindre à eux. Ils font partie des isolationnistes, un mouvement dont Lindbergh, le premier homme à franchir l’Atlantique en avion, ne fut pas le dernier des soutiens. Les isolationnistes considèrent que le conflit européen, entre l’Allemagne et la France et l’Angleterre, ne concerne pas l’Amérique. Ils prônent alors de rester isolés et ne pas se préoccuper d’une Europe qui goûte, malheureusement, à la virilité de la guerre. L’attaque de Pearl Harbour le 7 décembre 1941 leur donnera tort mais c’est une autre histoire.
La conférence de Russel, qu’il tînt finalement après avoir enjoint les manifestants à le rejoindre dans l’amphithéâtre afin de leur présenter sa position de pacifiste sur la guerre, est l’occasion de retours dans le passé pour expliquer la logique, discipline sœur des mathématiques. A l’occasion de son discours, Russel raconte ses pérégrinations à l’intérieur du monde de la logique et des théories des mathématiques qui partagent le souci de la vérité, ce en quoi elles sont proches de la philosophie, ce qui a fait des philosophes, pendant longtemps, de grands mathématiciens, ou l’inverse, c’est selon.

Russel raconte sa quête, qui dépasse, à biens des égards les limites de la raison pure pour friser avec l’obsession. Il confie ses erreurs mais aussi le but de son existence : pouvoir prouver la vérité et utiliser des méthodes rationnelles, par définition simples et absolues, pour décider et concevoir l’existence.
Cet ovni littéraire s’intéresse à l’histoire des mathématiques, ce qui, me semble-t-il, n’avait jamais été réalisé en bande-dessinée avec autant d’allant. Les mathématiques sont bien souvent considérées comme une matière au mieux élitiste, au pire rébarbative, alors qu’elles décrivent une part de notre existence dans le sens où leur lien avec la description de la nature est essentiel. De fait, elles disposent elles-aussi leurs propres limites. Car ce qui intéresse l’homme est la plupart du temps, non pas la connaissance, mais l’homme lui-même. L’éclosion des sciences humaines, dont la psychologie et la sociologie, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale en sont l’exemple. On y rencontre Gauss, Von Neumann, Cantor, Freg, ,Poincaré, Hilbert, Gödel, Leibniz, Wittgenstein mais aussi la théorie des ensembles, les algorithmes, les calculs des prédicats, le principia mathematica, et les classiques grecs.
Reste un livre passionnant, même pour un piètre matheux comme moi, qui démontrent que l’histoire des sciences et avant tout celle des hommes, et des femmes, qui les composent, les vivent et en font l’objectif de leur courte existence. « On peut compter l’infini », dit Cantor. Hélas, dans le monde littéraire, chaque ouvrage sa fin.

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27 août 2010

Nul n'est prophète en son pays

« En vérité, je vous le dis, nul n’est prophète en son pays ». En Inde, dans la famille Vallara, on est chrétiens et c’est peu de dire alors que, perdu dans l’immensité hindoue, le livre des livres révèle « la bonne parole ».

Avec ses deux filles, Linno et Anju, et sa mère, Ammachi, Melvin tente de survivre comme il le peut dans une société dominée par un système de castes qui à défaut d’être encore légal reste la réalité des esprits. Gracie, sa femme, s’est noyée quelques années plus tôt et la présence de son absence est encore trop forte.

Quand Linno perd sa main droite suite à l’explosion d’un feu d’artifice, elle réapprend l’usage de sa main orpheline pour devenir une dessinatrice adroite, quand Anju, sa petite sœur excelle dans les matières académiques. Son intelligence, vaut à la cadette d’être remarquée pour l’obtention d’une bourse d’études en Amérique.

« Etre brillant, c’est imposer sa vision au monde. Etre doué, c’est simplement emprunter à quelqu’un de plus doué que soi ». Et Anju peine à trouver sa propre voie. Elle, l’usurpatrice, souffre de ne pouvoir offrir au monde que la pâle réussite de la bonne élève, quand quelque part, Linno la créative empile les dessins dans son carnet. Alors il lui vient une idée. Pour remporter la bourse, elle doit montrer sa singularité. Elle emprunte à sa sœur ses cahiers et fait passer pour siens les dessins de Linno.

« La différence entre une Lady et une petite marchande de fleurs, ce n’est pas comment elle se comporte mais comment elle est traitée ». Anju la douce remporte la bourse et s’envole vers New-York laissant derrière elle une partie d’elle sans être certaine de la retrouver.

« Une ville appartient à ceux qui sont là pour la voir changer ». Pendant son séjour dans sa famille d’accueil, l’écolière repense à sa ville, sale, surpeuplée, dopées à la surconsommation, corrompue, mais la sienne, alors qu’à New-York, tout lui semble étranger, à commencer par elle-même. Elle n’est alors plus ici et pas tout à fait ailleurs.

« Toutes ces pièces sombres rappelant les enfants et petits-enfants, ces générations qui ne sont pas là pour les remplir ». Alors qu’Anju rebondit de prétextes en excuses pour que personne ne remarque sa tricherie, en Inde, sa sœur se retrouve sur le marché des femmes à marier. Des entremetteurs lui trouvent des célibataires à épouser sans que Linno n’abandonne l’idée que l’union avec un homme est d’abord celle de l’amour de deux êtres, et pas de deux intérêts.

« Jusqu’à présent il a cru qu’un garçon devenait un homme avec les années (…) comme un galet lissé par l’océan. (…) Un homme se fait par une suite de moments, une évolution par à-coups ». Démasquée, Anju s’enfuit et se cache dans les tréfonds de New-York où elle est accueillie par une vieille amie de sa mère, qui la prend sous son aile. A des milliers de kilomètres de cela, Melvin oublie son vœu de ne jamais aller en Amérique, et découvre alors dans ses faiblesses sa propre grandeur de père, tandis que Linno met de côté la trahison de sa sœur. Ensemble ils cherchent par tous les moyens comment ils peuvent la retrouver.

« Il n’y aucune logique. C’est totalement au hasard. Et là où il y a du hasard, il y a de place pour la religion ». Las, les visiteurs le racontent, l’Inde marque à jamais de son empreinte indélébile. On peut y aller, mais difficile de s’en sortir. Malgré leurs supplications, leur débrouillardise et leurs sacrifices, ni Melvin, ni Linno ne parviennent à sortir du pays. Quand l’enfant prodige se fait aussi prodigue…

« Une personne compte plus par son absence que par sa présence ». Namaste.

(Les phrases entre guillemets sont extraites de ce livre qui paraît en cette rentrée littéraire automnale chez Stock)